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SANS FAMILLE

Marius, c’était son fils, piqueur comme lui, qui travaillait à la mine, dans le troisième niveau. Jusqu’à ce moment, le sentiment de la conservation personnelle, toujours si tyrannique, l’avait empêché de penser à son fils ; mais le mot du magister : « la mine est pleine » l’avait arraché à lui-même.

— Marius ! Marius ! cria-t-il avec un accent déchirant ; Marius !

Rien ne répondit, pas même l’écho ; la voix assourdie ne sortit pas de notre cloche.

— Il aura trouvé une remontée, dit le magister ; cent cinquante hommes noyés, ce serait trop horrible ; le bon Dieu ne le voudra pas.

Il me sembla qu’il ne disait pas cela d’une voix convaincue. Cent cinquante hommes au moins étaient descendus le matin dans la mine : combien avaient pu remonter par les puits ou trouver un refuge, comme nous ! Tous nos camarades perdus, noyés, morts. Personne n’osa plus dire un mot.

Mais dans une situation comme la nôtre, ce n’est pas la sympathie et la pitié qui dominent les cœurs ou dirigent les esprits.

— Eh bien ! et nous, dit Bergounhoux, après un moment de silence, qu’est-ce que nous allons faire ?

— Que veux-tu faire ?

— Il n’y a qu’à attendre, dit le magister.

— Attendre quoi ?

— Attendre ; veux-tu percer les quarante ou cinquante mètres qui nous séparent du jour avec ton crochet de lampe ?

— Mais nous allons mourir de faim.