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SANS FAMILLE

soir-là ; je m’assis devant une table, sur une chaise, mais on ne nous servit pas de soupe. Les compagnies de mines ont pour le plus grand nombre établi des magasins d’approvisionnement dans lesquels leurs ouvriers trouvent à prix de revient tout ce qui leur est nécessaire pour les besoins de la vie. Les avantages de ces magasins sautent aux yeux : l’ouvrier y trouve des produits de bonne qualité et à bas prix, qu’on lui fait payer en retenant le montant de sa dépense sur sa paye de quinzaine, et par ce moyen il est préservé des crédits des petits marchands de détail qui le ruineraient, il ne fait pas de dettes. Seulement, comme toutes les bonnes choses, celle-là a son mauvais côté ; à Varses, les femmes des ouvriers n’ont pas l’habitude de travailler pendant que leurs maris sont descendus dans la mine ; elles font leur ménage, elles vont les unes chez les autres, boire le café ou le chocolat qu’on a pris au magasin d’approvisionnement, elles causent, elles bavardent, et quand le soir arrive, c’est-à-dire le moment où l’homme sort de la mine pour rentrer souper, elles n’ont point eu le temps de préparer ce souper ; alors elles courent au magasin et en rapportent de la charcuterie. Cela n’est pas général, bien entendu, mais cela se produit fréquemment. Et ce fut pour cette raison que nous n’eûmes pas de soupe : la tante Gaspard avait bavardé. Du reste, c’était chez elle une habitude, et j’ai vu plus tard que son compte au magasin se composait surtout de deux produits : d’une part, café et chocolat ; d’autre part, charcuterie. L’oncle était un homme facile, qui aimait surtout la tranquillité ; il mangeait sa charcuterie et ne se plai-