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SANS FAMILLE

Nous marchions doucement, et les ouvriers qui regagnaient leur maison nous dépassaient ; ils allaient en une longue file qui tenait la rue entière, tous noirs de cette même poussière qui recouvrait le sol d’une couche épaisse.

Lorsque nous fûmes près d’arriver, l’oncle Gaspard se rapprocha de nous :

— Garçons, dit-il, vous allez souper avec nous.

Jamais invitation ne me fit plus grand plaisir, car tout en marchant, je me demandais si, arrivés à la porte, il ne faudrait pas nous séparer, l’accueil de la tante ne m’ayant pas donné bonne espérance.

— Voilà Rémi, dit-il, en entrant dans la maison, et son ami.

— Je les ai déjà vus tantôt.

— Eh bien, tant mieux, la connaissance est faite ; ils vont souper avec nous.

J’étais certes bien heureux de souper avec Alexis, c’est-à-dire de passer la soirée auprès de lui, mais pour être sincère, je dois dire que j’étais heureux aussi de souper. Depuis notre départ de Paris, nous avions mangé à l’aventure, une croûte ici, une miche là, mais rarement un vrai repas, assis sur une chaise, avec de la soupe dans une assiette. Avec ce que nous gagnions, nous étions, il est vrai, assez riches pour nous payer des festins dans de bonnes auberges, mais il fallait bien faire des économies pour la vache du prince, et Mattia était si bon garçon qu’il était presque aussi heureux que moi à la pensée d’acheter notre vache.

Ce bonheur d’un festin ne nous fut pas donné ce