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SANS FAMILLE

mettions-nous pas de rester gravement assis la sébile entre les dents devant « l’honorable société » qui tardait à mettre la main à la poche ? il faut savoir attendre.

Mais nous n’attendions plus ; aussi les recettes baissaient-elles, en même temps que ce qui nous était resté sur nos quarante francs diminuait chaque jour : loin de mettre de l’argent de côté, nous prenions sur notre capital.

— Dépêchons-nous, disait Mattia, rejoignons le Cygne.

Et je disais comme lui : dépêchons-nous.

Jamais le soir nous ne nous plaignions de la fatigue, si longue qu’eût été l’étape ; et tout au contraire nous étions d’accord pour partir le lendemain de bonne heure.

— Éveille-moi, disait Mattia, qui aimait à dormir.

Et quand je l’avais éveillé, jamais il n’était long à sauter sur ses jambes.

Pour faire des économies nous avions réduit nos dépenses, et comme il faisait chaud, Mattia avait déclaré qu’il ne voulait plus manger de viande « parce qu’en été la viande est malsaine ; » nous nous contentions d’un morceau de pain avec un œuf dur que nous nous partagions, ou bien d’un peu de beurre ; et quoique nous fussions dans le pays du vin nous ne buvions que de l’eau.

Que nous importait !

Cependant Mattia avait quelquefois des idées de gourmandise.

— Je voudrais bien que madame Milligan eût encore