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SANS FAMILLE

Un peu avant la nuit j’entendis une sonnerie de cornet à piston et je reconnus la façon de jouer de Mattia : le bon garçon, il voulait me dire qu’il pensait à moi et qu’il veillait. Cette sonnerie m’arrivait par-dessus le mur qui faisait face à ma fenêtre : évidemment Mattia était de l’autre côté de ce mur, dans la rue, et une courte distance nous séparait, quelques mètres à peine. Par malheur les yeux ne peuvent pas percer les pierres. Mais si le regard ne passe pas à travers les murs, le son passe par-dessus. Aux sons du cornet s’étaient joints des bruits de pas, des rumeurs vagues et je compris que Mattia et Bob donnaient là sans doute une représentation.

Pourquoi avaient-ils choisi cet endroit ? Était-ce parce qu’il leur était favorable pour la recette ! Ou bien voulaient-ils me donner un avertissement ?

Tout à coup j’entendis une voix claire, celle de Mattia crier en français : « Demain matin au petit jour ! » Puis aussitôt reprit de plus belle le tapage du cornet.

Il n’y avait pas besoin d’un grand effort d’intelligence pour comprendre que ce n’était pas à son public anglais que Mattia adressait ces mots : « Demain matin au petit jour, » c’était à moi ; mais par contre il n’était pas aussi facile de deviner ce qu’ils signifiaient, et de nouveau je me posai toute une série de questions auxquelles il m’était impossible de trouver des réponses raisonnables.

Un seul fait était clair et précis : le lendemain matin au petit jour je devais être éveillé et me tenir sur mes gardes ; jusque-là je n’avais qu’à prendre patience, si je le pouvais.