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SANS FAMILLE

taine, mais avec quelque chose de fatigué ; il avait environ cinquante ans ; ce qui me frappa le plus en lui, ce fut son sourire qui, par le mouvement des deux lèvres, découvrait toutes ses dents blanches et pointues comme celles d’un jeune chien : cela était tout à fait caractéristique, et, en le regardant, on se demandait si c’était bien un sourire qui contractait ainsi ses lèvres, ou si ce n’était pas plutôt une envie de mordre.

Tout en parlant avec mon père en anglais, il tournait à chaque instant les yeux de mon côté ; mais quand il rencontrait les miens il cessait aussitôt de m’examiner.

Après quelques minutes d’entretien, il abandonna l’anglais pour le français, qu’il parlait avec facilité et presque sans accent.

— C’est là le jeune garçon dont vous m’avez entretenu ? dit-il à mon père en me désignant du doigt ; il paraît bien portant.

— Réponds-donc, me dit mon père.

— Vous vous portez bien ? me demanda le gentleman.

— Oui, monsieur.

— Vous n’avez jamais été malade ?

— J’ai eu une fluxion de poitrine.

— Ah ! ah ! et comment cela ?

— Pour avoir couché une nuit dans la neige par un froid terrible ; mon maître, qui était avec moi, est mort de froid ; moi j’ai gagné cette fluxion de poitrine.

— Il y a longtemps ?

— Trois ans.