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SANS FAMILLE

à moi ; mais quand elle m’aurait oublié, cela n’empêcherait pas que je la remercierais pour sa lettre ; avec une description aussi complète, il ne faudra pas que master Driscoll se trompe dans l’énumération des objets que tu portais lorsqu’on t’a volé.

— Il peut avoir oublié.

— Ne dis donc pas cela : est-ce qu’on oublie les vêtements qui habillaient l’enfant qu’on a perdu, le jour où on l’a perdu, puisque ce sont ces vêtements qui doivent le faire retrouver ?

— Jusqu’à ce que mon père ait répondu, ne fais pas de suppositions, je te prie.

— Ce n’est pas moi qui en fais, c’est toi qui dis qu’il peut avoir oublié.

— Enfin, nous verrons.

Ce n’était pas chose facile que de demander à mon père de me dire comment j’étais vêtu lorsque je lui avais été volé. Si je lui avais posé cette question tout naïvement, sans arrière-pensée, rien n’aurait été plus simple ; mais il n’en était pas ainsi, et c’était justement cette arrière-pensée, qui me rendait timide et hésitant.

Enfin un jour qu’une pluie glaciale nous avait fait rentrer de meilleure heure que de coutume, je pris mon courage, et je mis la conversation sur le sujet qui me causait de si poignantes angoisses.

Au premier mot de ma question, mon père me regarda en face, en me fouillant des yeux, comme il en avait l’habitude lorsqu’il était blessé par ce que je lui disais, mais je soutins son regard plus bravement que je ne l’avais espéré lorsque j’avais pensé à ce moment.