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SANS FAMILLE

pas fin, mais si je ne comprends pas tout ce qui devait m’entrer là, — il frappa sa tête, je sens ce qui m’atteint là ; — il mit sa main sur son cœur. Ce n’est pas parce que tes parents sont pauvres que tu veux que je parte, ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas me nourrir, car je ne leur serais pas à charge et je travaillerais pour eux, c’est… c’est parce que, — après ce que tu as vu cette nuit, — tu as peur pour moi.

— Mattia, ne dis pas cela.

— Tu as peur que je n’en arrive à couper les étiquettes des marchandises qui n’ont pas été achetées.

— Oh ! tais-toi, Mattia, mon petit Mattia, tais-toi !

Et je cachai entre mes mains mon visage rouge de honte.

— Eh bien ! si tu as peur pour moi, continua Mattia, moi j’ai peur pour toi, et c’est pour cela que je te dis : « Partons ensemble, retournons en France pour revoir mère Barberin, Lise et tes amis. »

— C’est impossible ! Mes parents ne te sont rien, tu ne leur dois rien ; moi, ils sont mes parents, je dois rester avec eux.

— Tes parents ! Ce vieux paralysé, ton grand-père ! cette femme, couchée sur la table, ta mère !

Je me levai vivement, et, sur le ton du commandement, non plus sur celui de la prière, je m’écriai :

— Tais-toi, Mattia, ne parle pas ainsi, je te le défends ! C’est de mon grand-père, c’est de ma mère que tu parles : je dois les honorer, les aimer.

— Tu le devrais s’ils étaient réellement tes parents ; mais s’ils ne sont ni ton grand-père, ni ton père, ni ta