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SANS FAMILLE

privé de sentiment, puis après quelques secondes je regardai Mattia, qui lui-même me regardait avec des larmes dans les yeux.

Je lui fis un signe et de nouveau nous sortîmes.

Pendant assez longtemps nous marchâmes côte à côte, nous tenant par la main, ne disant rien et allant droit devant nous sans savoir où nous nous dirigions.

— Où donc veux-tu aller ainsi ? demanda Mattia avec une certaine inquiétude.

— Je ne sais pas ; quelque part où nous pourrons causer ; j’ai à te parler, et ici, dans cette foule, je ne pourrais pas.

En effet, dans ma vie errante, par les champs et par les bois, je m’étais habitué, à l’école de Vitalis, à ne jamais rien dire d’important quand nous nous trouvions au milieu d’une rue de ville ou de village, et lorsque j’étais dérangé par les passants je perdais tout de suite mes idées : or, je voulais parler à Mattia sérieusement en sachant bien ce que je dirais.

Au moment où Mattia me posait cette question, nous arrivions dans une rue plus large que les ruelles d’où nous sortions, et il me sembla apercevoir des arbres au bout de cette rue : c’était peut-être la campagne : nous nous dirigeâmes de ce côté. Ce n’était point la campagne, mais c’était un parc immense avec de vastes pelouses vertes et des bouquets de jeunes arbres çà et là. Nous étions là à souhait pour causer.

Ma résolution était bien prise, et je savais ce que je voulais dire :

— Tu sais que je t’aime, mon petit Mattia, dis-je à mon camarade aussitôt que nous fûmes assis dans