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SANS FAMILLE

tinta, des amarres tombèrent dans l’eau ; nous étions en route ; en route pour mon pays.

J’avais souvent dit à Mattia qu’il n’y avait rien de si agréable qu’une promenade en bateau : on glissait doucement sur l’eau sans avoir conscience de la route qu’on faisait, c’était vraiment charmant, — un rêve.

En parlant ainsi je songeais au Cygne et à notre voyage sur le canal du Midi ; mais la mer ne ressemble pas à un canal. À peine étions-nous sortis de la jetée que le bateau sembla s’enfoncer dans la mer, puis il se releva, s’enfonça encore au plus profond des eaux, et ainsi quatre ou cinq fois de suite par de grands mouvements comme ceux d’une immense balançoire ; alors, dans ces secousses, la vapeur s’échappait de la cheminée avec un bruit strident, puis tout à coup une sorte de silence se faisait, et l’on n’entendait plus que les roues qui frappaient l’eau, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, selon l’inclinaison du navire.

— Elle est jolie, ta glissade ! me dit Mattia.

Et je n’eus rien à lui répondre, ne sachant pas alors ce que c’était qu’une barre.

Mais ce ne fut pas seulement la barre qui imprima ces mouvements de roulis et de tangage au navire, ce fut aussi la mer qui, au large, se trouva être assez grosse.

Tout à coup Mattia, qui depuis assez longtemps ne parlait plus, se souleva brusquement.

— Qu’as-tu donc ? lui dis-je.

— J’ai que ça danse trop et que j’ai mal au cœur.

— C’est le mal de mer.