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SANS FAMILLE

La nuit vint ; on alluma les becs de gaz ; alors je me dirigeai vers l’église Notre-Dame dont les deux tours se détachaient en noir sur le couchant empourpré. Au chevet de l’église je trouvai un banc pour m’asseoir, ce qui me fut doux, car j’avais les jambes brisées, comme si j’avais fait une très-longue marche, et là je repris mes tristes réflexions. Jamais je ne m’étais senti si accablé, si las. En moi, autour de moi, tout était lugubre ; dans ce grand Paris plein de lumière, de bruit et de mouvement, je me sentais plus perdu que je ne l’aurais été au milieu des champs ou des bois.

Les gens qui passaient devant moi se retournaient quelquefois pour me regarder ; mais que m’importait leur curiosité ou leur sympathie ; ce n’était pas l’intérêt des indifférents que j’avais espéré.

Je n’avais qu’une distraction, c’était de compter les heures qui sonnaient tout autour de moi : alors je calculais combien de temps à attendre encore avant de pouvoir reprendre force et courage dans l’amitié de Mattia : quelle consolation c’était pour moi de penser que j’allais bientôt voir ses bons yeux si doux et si gais.

Un peu avant sept heures j’entendis un aboiement joyeux ; presque aussitôt dans l’ombre j’aperçus un corps blanc arriver sur moi ; avant que j’eusse pu réfléchir, Capi avait sauté sur mes genoux et il me léchait les mains à grands coups de langue ; je le serrai dans mes bras et l’embrassai sur le nez.

Mattia ne tarda pas à paraître :

— Eh bien ? cria-t-il de loin.

— Barberin est mort.