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SANS FAMILLE

arrivé à croire, non pas que je serais riche un jour, mais que j’étais riche déjà, et que je n’avais qu’à former un souhait pour pouvoir le réaliser dans un avenir prochain, très-prochain, presque immédiat.

Mon dernier mot à Lise (mot non parlé bien entendu mais exprimé) fera mieux que de longues explications comprendre combien sincère j’étais dans mon illusion.

— Je viendrai te chercher dans une voiture à quatre chevaux, lui dis-je.

Et elle me crut, si bien que de la main elle fit signe de claquer les chevaux : elle voyait assurément la voiture, tout comme je la voyais moi-même.

Cependant avant de faire en voiture la route de Paris à Dreuzy, il fallut faire à pied celle de Dreuzy à Paris ; et sans Mattia je n’aurais eu d’autre souci que d’allonger les étapes, me contentant de gagner le strict nécessaire pour notre vie de chaque jour ; à quoi bon prendre de la peine maintenant, nous n’avions plus ni vache, ni poupée à acheter, et pourvu que nous eussions notre pain quotidien, ce n’était pas à moi à porter de l’argent à mes parents.

Mais Mattia ne se laissait pas toucher par les raisons que je lui donnais pour justifier mon opinion.

— Gagnons ce que nous pouvons gagner, disait-il en m’obligeant à prendre ma harpe. Qui sait si nous trouverons Barberin tout de suite ?

— Si nous ne le trouvons pas à midi, nous le trouverons à deux heures ; la rue Mouffetard n’est pas si longue.