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SANS FAMILLE

plusieurs années et avec Mattia en ces derniers mois m’avaient fait parcourir bien des pays : je n’en avais vu aucun d’aussi curieux que celui au milieu duquel nous nous trouvions en ce moment ; des bois immenses, de belles prairies, des rochers, des collines, des cavernes, des cascades écumantes, des étangs tranquilles, et dans la vallée étroite, aux coteaux escarpés de chaque côté le canal, qui se glissait en serpentant. C’était superbe : on n’entendait que le murmure des eaux, le chant des oiseaux ou la plainte du vent dans les grands arbres. Il est vrai que j’avais trouvé aussi quelques années auparavant que la vallée de la Bièvre était jolie. Je ne voudrais donc pas qu’on me crût trop facilement sur parole. Ce que je veux dire, c’est que partout où je me suis promené avec Lise, où nous avons joué ensemble, le pays m’a paru posséder des beautés et un charme, que d’autres plus favorisés peut-être n’avaient pas à mes yeux : j’ai vu ce pays avec Lise et il est resté dans mon souvenir éclairé par ma joie.

Le soir nous nous asseyions devant la maison quand il ne faisait pas trop humide, devant la cheminée quand le brouillard était épais, et pour le plus grand plaisir de Lise, je lui jouais de la harpe. Mattia aussi jouait du violon ou du cornet à piston, mais Lise préférait la harpe, ce qui ne me rendait pas peu fier ; au moment de nous séparer pour aller nous coucher, Lise me demandait ma chanson napolitaine, et je la lui chantais.

Cependant, malgré tout, il fallut quitter Lise et ce pays pour se remettre en route.

Mais pour moi ce fut sans trop de chagrin ; j’avais si souvent caressé mes rêves de richesses, que j’en étais