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SANS FAMILLE

pourras me rendre plus heureuse que tu ne l’as fait avec ta pauvreté.

Notre pauvre petite vache, il fallut aussi nous séparer d’elle ; Mattia l’embrassa plus de dix fois sur le mufle, ce qui parut lui être agréable, car à chaque baiser elle allongeait sa grande langue.

Nous voilà de nouveau sur les grands chemins, le sac au dos, Capi en avant de nous ; nous marchons à grands pas ou, plus justement, de temps en temps sans trop savoir ce que je fais, poussé à mon insu par la hâte d’arriver à Paris, j’allonge le pas.

Mais Mattia, après m’avoir suivi un moment, me dit que, si nous allons ainsi, nous ne tarderons pas à être à bout de forces, et alors je ralentis ma marche, puis bientôt de nouveau je l’accélère.

— Comme tu es pressé ! me dit Mattia d’un air chagrin.

— C’est vrai, et il me semble que tu devrais l’être aussi, car ma famille sera ta famille.

Il secoua la tête.

Je fus dépité et peiné de voir ce geste que j’avais déjà remarqué plusieurs fois depuis qu’il était question de ma famille.

— Ne sommes-nous pas frères ?

— Oh ! entre nous bien sûr, et je ne doute pas de toi, je suis ton frère aujourd’hui, je le serai demain, cela je le crois, je le sens.

— Eh bien ?

— Eh bien ! pourquoi veux-tu que je sois le frère de tes frères si tu en as, le fils de ton père et de ta mère ?

— Est-ce que si nous avions été à Lucca je n’aurais pas été le frère de ta sœur Cristina ?