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SANS FAMILLE

— Tu me vois assez tourmenté pour ne pas hésiter à m’aider.

— Je trouve, dit-il enfin, que les nouveaux ne doivent pas faire oublier les anciens : jusqu’à ce jour ta famille c’était Lise, Étiennette, Alexis et Benjamin, qui avaient été des sœurs et des frères pour toi, qui t’avaient aimé ; mais voilà une nouvelle famille qui se présente, que tu ne connais pas, qui n’a rien fait pour toi que te déposer dans la rue, et tout à coup tu abandonnes ceux qui ont été bons pour ceux qui ont été mauvais ; je trouve que cela n’est pas juste.

— Il ne faut pas dire que les parents de Rémi l’ont abandonné, interrompit mère Barberin ; on leur a peut-être pris leur enfant qu’ils pleurent et qu’ils attendent, qu’ils cherchent depuis ce jour.

— Je ne sais pas cela, mais je sais que le père Acquin a ramassé Rémi mourant au coin de sa porte, qu’il l’a soigné comme son enfant, et que Alexis, Benjamin, Étiennette et Lise l’ont aimé comme leur frère, et je dis que ceux qui l’ont accueilli ont bien au moins autant de droits à son amitié que ceux qui, volontairement ou involontairement, l’ont perdu. Chez le père Acquin et chez ses enfants, l’amitié a été volontaire ; ils ne devaient rien à Rémi.

Mattia prononça ces paroles comme s’il était fâché contre moi, sans me regarder, sans regarder mère Barberin. Cela me peina, mais cependant sans que le chagrin de me voir ainsi blâmé m’empêchât de sentir toute la force de ce raisonnement. D’ailleurs j’étais dans la situation de ces gens irrésolus qui se rangent bien souvent du côté de celui qui a parlé le dernier.