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SANS FAMILLE

J’avais deux routes à prendre ; celle de Fontainebleau par la barrière d’Italie, ou bien celle d’Orléans par Montrouge : en somme, l’une m’était tout aussi indifférente que l’autre, et le hasard fit que je choisis celle de Fontainebleau.

Comme je montais la rue Mouffetard dont le nom que je venais de lire sur une plaque bleue m’avait rappelé tout un monde de souvenirs : Garofoli, Mattia, Riccardo, la marmite avec son couvercle fermé au cadenas, le fouet aux lanières de cuir et enfin Vitalis, mon pauvre et bon maître, qui était mort pour ne pas m’avoir loué au padrone de la rue de Lourcine, il me sembla, en arrivant à l’église Saint-Médard, reconnaître dans un enfant appuyé contre le mur de l’église le petit Mattia : c’était bien la même grosse tête, les mêmes yeux mouillés, les mêmes lèvres parlantes, le même air doux et résigné, la même tournure comique ; mais chose étrange, si c’était lui, il n’avait pas grandi.

Je m’approchai pour le mieux examiner ; il n’y avait pas à en douter, c’était lui ; il me reconnut aussi, car son pâle visage s’éclaira d’un sourire.

— C’est vous, dit-il, qui êtes venu chez Garofoli avec le vieux à barbe blanche avant que j’entre à l’hôpital ? Ah ! comme j’avais mal dans la tête, ce jour-là.

— Et Garofoli est toujours votre maître ?

Il regarda autour de lui avant de répondre ; alors baissant la voix :

— Garofoli est en prison ; on l’a arrêté parce qu’il a fait mourir Orlando pour l’avoir trop battu.

Cela me fit plaisir de savoir Garofoli en prison, et pour la première fois j’eus la pensée que les prisons,