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SANS FAMILLE

tu en verras des arbres, et des beaux, des chênes, des châtaigniers.

— Avec des châtaignes ?

— Parbleu ! Et puis, dans la cour de mère Barberin il y a un poirier crochu sur lequel on joue au cheval, qui donne des poires grosses comme ça ; et bonnes : tu verras.

Et pour chaque chose que je lui décrivais, c’était là mon refrain : Tu verras. De bonne foi je m’imaginais que je conduisais Mattia dans un pays de merveilles. Après tout, n’en était-ce pas un pour moi ? C’était là que mes yeux s’étaient ouverts à la lumière. C’était là que j’avais eu le sentiment de la vie, là que j’avais été si heureux ; là que j’avais été aimé. Et toutes ces impressions de mes premières joies, rendues plus vives par le souvenir des souffrances de mon existence aventureuse, me revenaient, se pressant tumultueusement dans mon cœur et dans ma tête à mesure que nous approchions de mon village. Il semblait que l’air natal avait un parfum qui me grisait : je voyais tout en beau.

Et, gagné par cette griserie, Mattia retournait aussi, mais en imagination seulement, hélas ! dans le pays où il était né.

— Si tu venais à Lucca, disait-il, je t’en montrerais aussi des belles choses ; tu verrais.

— Mais nous irons à Lucca quand nous aurons vu Étiennette, Lise et Benjamin.

— Tu veux bien venir à Lucca ?

— Tu es venu avec moi chez mère Barberin, j’irai avec toi voir ta mère et ta petite sœur Cristina, que