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SANS FAMILLE

— Et tu ne sais pas une note de musique ! s’écriait le perruquier en claquant des mains et en tutoyant Mattia comme s’il le connaissait depuis longtemps.

J’ai dit qu’il y avait des instruments posés sur un établi et d’autres qui étaient accrochés contre le mur. Mattia ayant terminé son morceau de violon prit une clarinette.

— Je joue aussi de la clarinette, dit-il, et du cornet à piston.

— Allons, joue, s’écria Espinassous.

Et Mattia joua ainsi un morceau sur chacun de ces instruments.

— Ce gamin est un prodige, criait Espinassous ; si tu veux rester avec moi, je ferai de toi un grand musicien ; tu entends, un grand musicien ! le matin, tu raseras la pratique avec moi, et tout le reste de la journée je te ferai travailler ; et ne crois pas que je ne sois pas un maître capable de t’instruire parce que je suis perruquier ; il faut vivre, manger, boire, dormir, et voilà à quoi le rasoir est bon ; pour faire la barbe aux gens, Jasmin n’en est pas moins le plus grand poëte de France ; Agen a Jasmin, Mende a Espinassous.

En entendant la fin de ce discours, je regardai Mattia. Qu’allait-il répondre ? Est-ce que j’allais perdre mon ami, mon camarade, mon frère, comme j’avais perdu successivement tous ceux que j’avais aimés ? Mon cœur se serra. Cependant je ne m’abandonnai pas à ce sentiment. La situation ressemblait jusqu’à un certain point à celle où je m’étais trouvé avec Vitalis quand madame Milligan avait demandé