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SANS FAMILLE

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— Il va entraîner les déblais, cria Pagès.

— Laissez-lui au moins sa liberté, dit le magister.

Il m’avait vu descendre en me laissant glisser sur le dos ; il voulut en faire autant ; mais j’étais léger, tandis qu’il était lourd ; souple, tandis qu’il était une masse inerte. À peine se fut-il mis sur le dos que le charbon s’effondra sous lui, et sans qu’il pût se retenir de ses jambes écartées et de ses bras qui battaient le vide, il glissa dans le trou noir. L’eau jaillit jusqu’à nous, puis elle se referma et ne se rouvrit plus.

Je me penchai en avant, mais l’oncle Gaspard et le magister me retinrent chacun par un bras.

— Nous sommes sauvés, s’écrièrent Bergounhoux et Pagès, nous sortirons d’ici.

Tremblant d’épouvante, je me rejetai en arrière ; j’étais glacé d’horreur, à moitié mort.

— Ce n’était pas un honnête homme, dit l’oncle Gaspard.

Le magister ne parlait pas, mais bientôt il murmura entre ses dents :

— Après tout il nous diminuait notre portion d’oxygène.

Ce mot que j’entendais pour la première fois me frappa, et après un moment de réflexion, je demandai au magister ce qu’il avait voulu dire :

— Une chose injuste et égoïste, garçon, et que je regrette.

— Mais quoi ?

— Nous vivons de pain et d’air ; le pain, nous n’en avons pas ; l’air, nous n’en sommes guère plus riches, car celui que nous consommons ne se renouvelle pas ;