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SANS FAMILLE

une nouvelle distribution sans demander, et, si on ne la leur donnait pas, sans prendre leur part.

On en vint à ne plus parler pour ainsi dire, et autant nous avions été loquaces au commencement de notre captivité, autant nous fûmes silencieux quand elle se prolongea.

Les deux seuls sujets de nos conversations roulaient éternellement sur les deux mêmes questions : quels moyens on employait pour venir à nous, et depuis combien de temps nous étions emprisonnés.

Mais ces conversations n’avaient plus l’ardeur des premiers moments ; si l’un de nous disait un mot, souvent ce mot n’était pas relevé, ou alors qu’il l’était, c’était simplement en quelques paroles brèves ; on pouvait varier du jour à la nuit, du blanc au noir, sans pour cela susciter la colère ou la simple contradiction.

— C’est bon, on verra.

Étions-nous ensevelis depuis deux jours ou depuis six ? On verrait quand le moment de la délivrance serait venu. Mais ce moment viendrait-il ? Pour moi, je commençais à en douter fortement.

Au reste je n’étais pas le seul, et parfois, il échappait des observations à mes camarades, qui prouvaient que le doute les envahissait aussi.

— Ce qui me console, si je reste ici, dit Bergounhoux, c’est que la compagnie fera une rente à ma femme et à mes enfants ; au moins ils ne seront pas à la charité.

Assurément, le magister s’était dit qu’il entrait dans ses fonctions de chef non-seulement de nous défendre contre les accidents de la catastrophe, mais encore de