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SANS FAMILLE

— Eh bien, et nous qui sommes mouillés, nous avons chaud !

— Il ne fallait pas tomber à l’eau, vous autres.

— Puisqu’il en est ainsi, dit le magister, on va tirer au sort qui donnera une partie de ses vêtements. Je voulais bien m’en passer. Mais maintenant je demande l’égalité.

Comme nous avions déjà été tous mouillés, moi jusqu’au cou et les plus grands jusqu’aux hanches, changer de vêtements n’était pas une grande faveur ; cependant le magister tint à ce que ce changement s’exécutât, et favorisé par le sort, j’eus la veste de Compayrou ; or, Compayrou ayant des jambes aussi longues que tout mon corps, sa veste était sèche. Enveloppé dedans, je ne tardai pas à me réchauffer.

Après cet incident désagréable qui nous avait un moment secoués, l’anéantissement nous reprit bientôt, et avec lui les idées de mort.

Sans doute ces idées pesaient plus lourdement sur mes camarades que sur moi, car tandis qu’ils restaient éveillés, dans un anéantissement stupide, je finis par m’endormir.

Mais la place n’était pas favorable et j’étais exposé à rouler dans l’eau. Alors le magister voyant le danger que je courais, me prit la tête sous son bras. Il ne me tenait pas serré bien fort, mais assez pour m’empêcher de tomber, et j’étais là comme un enfant sur les genoux de sa mère. C’était non-seulement un homme à la tête solide, mais encore un bon cœur. Quand je m’éveillais à moitié, il changeait seulement de position son bras engourdi, puis aussitôt il re-