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SANS FAMILLE

nuit, se poursuivent simultanément ces doubles travaux : l’épuisement et le percement.

Si le temps est long pour ceux qui du dehors travaillent à notre délivrance, combien plus long encore l’est-il pour nous, impuissants et prisonniers, qui n’avons qu’à attendre sans savoir si l’on arrivera à nous assez tôt pour nous sauver !

Le bruit des bennes d’épuisement ne nous maintint pas longtemps dans la fièvre de joie qu’il nous avait tout d’abord donnée. La réaction se fit avec la réflexion. Nous n’étions pas abandonnés, on s’occupait de notre sauvetage, c’était là l’espérance ; l’épuisement se ferait-il assez vite ? c’était là l’angoisse.

Aux tourments de l’esprit se joignaient d’ailleurs maintenant les tourments du corps. La position dans laquelle nous étions obligés de nous tenir sur notre palier était des plus fatigantes ; nous ne pouvions plus faire de mouvements pour nous dégourdir, et nos douleurs de tête étaient devenues vives et gênantes.

De nous tous Carrory était le moins affecté.

— J’ai faim, disait-il de temps en temps, magister, je voudrais bien le pain.

À la fin le magister se décida à nous passer un morceau de la miche sortie du bonnet de loutre.

— Ce n’est pas assez, dit Carrory.

— Il faut que la miche dure longtemps.

Les autres auraient partagé notre repas avec plaisir, mais ils avaient juré d’obéir, et ils tenaient leur serment.

— S’il nous est défendu de manger, il nous est permis de boire, dit Compayrou.