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SANS FAMILLE

— L’eau qui tombe.

— Non, le bruit n’est pas continuel, il est par secousses et régulier.

— Par secousses et régulier, nous sommes sauvés, enfants ! c’est le bruit des bennes d’épuisement dans les puits.

— Les bennes d’épuisement…

Tous en même temps, d’une même voix, nous répétâmes ces deux mots, et comme si nous avions été touchés par une commotion électrique, nous nous levâmes.

Nous n’étions plus à quarante mètres sous terre, l’air n’était plus comprimé, les parois de la remontée ne nous pressaient plus, nos bourdonnements d’oreilles avaient cessé, nous respirions librement, nos cœurs battaient dans nos poitrines.

Carrory me prit la main, et me la serrant fortement :

— Tu es un bon garçon, dit-il.

— Mais, non, c’est toi.

— Je te dis que c’est toi.

— Tu as le premier entendu les bennes.

Mais il voulut à toute force que je fusse un bon garçon ; il y avait en lui quelque chose comme l’ivresse du buveur. Et de fait n’étions-nous pas ivres d’espérance.

Hélas ! cette espérance ne devait pas se réaliser de sitôt, ni pour nous tous.

Avant de revoir la chaude lumière du soleil, avant d’entendre le bruit du vent dans les feuilles, nous devions rester là pendant de longues et cruelles journées, souffrant toutes les souffrances, nous demandant avec