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SANS FAMILLE

une raison ou pour une autre, parce qu’ils ne savaient rien, ou bien parce qu’ils avaient autre chose à faire, ne donnaient aucun enseignement aux enfants qu’on leur confiait.

C’était là le cas du maître d’école de notre village. Savait-il quelque chose ? c’est possible ; et je ne veux pas porter contre lui une accusation d’ignorance. Mais la vérité est que pendant le temps que je restai chez lui, il ne nous donna pas la plus petite leçon, ni à mes camarades, ni à moi ; il avait autre chose à faire, étant de son véritable métier, sabotier. C’était à ses sabots qu’il travaillait, et du matin au soir, on le voyait faire voler autour de lui les copeaux de hêtre et de noyer. Jamais il ne nous adressait la parole si ce n’est pour nous parler de nos parents, ou bien du froid, ou bien de la pluie ; mais de lecture, de calcul, jamais un mot. Pour cela il s’en remettait à sa fille, qui était chargée de le remplacer et de nous faire la classe. Mais comme celle-ci de son véritable métier était couturière, elle faisait comme son père, et tandis qu’il manœuvrait sa plane ou sa cuiller elle poussait vivement son aiguille.

Il fallait bien vivre, et comme nous étions douze élèves payant chacun cinquante centimes par mois, ce n’était pas six francs qui pouvaient nourrir deux personnes pendant trente jours : les sabots et la couture complétaient ce que l’école ne pouvait pas fournir.

Je n’avais donc absolument rien appris à l’école, pas même mes lettres.

— C’est difficile de lire ? demandai-je à Vitalis