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SANS FAMILLE

son violon, nous allons continuer le spectacle par une charmante comédie intitulée : le Domestique de M. Joli-Cœur, ou Le plus bête des deux n’est pas celui qu’on pense. Un homme comme moi ne s’abaisse pas à faire d’avance l’éloge de ses pièces et de ses acteurs ; je ne vous dis donc qu’une chose : écarquillez les yeux, ouvrez les oreilles et préparez vos mains pour applaudir.

Ce qu’il appelait « une charmante comédie » était en réalité une pantomime, c’est-à-dire une pièce jouée avec des gestes et non avec des paroles. Et cela devait être ainsi, par cette bonne raison que deux des principaux acteurs, Joli-Cœur et Capi, ne savaient pas parler, et que le troisième (qui était moi-même) aurait été parfaitement incapable de dire deux mots.

Cependant, pour rendre le jeu des comédiens plus facilement compréhensible, Vitalis l’accompagnait de quelques paroles qui préparaient les situations de la pièce et les expliquaient.

Ce fut ainsi que jouant en sourdine un air guerrier, il annonça l’entrée de M. Joli-Cœur, général anglais qui avait gagné ses grades et sa fortune dans les guerres des Indes. Jusqu’à ce jour, M. Joli-Cœur n’avait eu pour domestique que le seul Capi, mais il voulait se faire servir désormais par un homme, ses moyens lui permettant ce luxe : les bêtes avaient été assez longtemps les esclaves des hommes, il était temps que cela changeât.

En attendant que ce domestique arrivât, le général Joli-Cœur se promenait en long et en large, et fumait son cigare. Il fallait voir comme il lançait sa fumée au nez du public !