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SANS FAMILLE

vient vieux ; et, d’un autre côté, M. Joli-Cœur veut un nouveau domestique. Capi se charge de lui en procurer un. Mais ce ne sera pas un chien qu’il se donnera pour successeur, ce sera un jeune garçon, un paysan nommé Rémi.

— Comme moi ?

— Non, comme toi ; mais toi-même. Tu arrives de ton village pour entrer au service de Joli-Cœur.

— Les singes n’ont pas de domestiques.

— Dans les comédies ils en ont. Tu arrives donc, et M. Joli-Cœur trouve que tu as l’air d’un imbécile.

— Ce n’est pas amusant, cela.

— Qu’est-ce que cela te fait, puisque c’est pour rire ? D’ailleurs, figure-toi que tu arrives véritablement chez un monsieur pour être domestique et qu’on te dit, par exemple, de mettre la table. Précisément en voici une qui doit servir dans notre représentation. Avance et dispose le couvert.

Sur cette table, il y avait des assiettes, un verre, un couteau, une fourchette et du linge blanc.

Comment devait-on arranger tout cela ?

Comme je me posais ces questions, et restais les bras tendus, penché en avant, la bouche ouverte, ne sachant par où commencer, mon maître battit des mains en riant aux éclats.

— Bravo, dit-il, bravo, c’est parfait. Ton jeu de physionomie est excellent. Le garçon que j’avais avant toi prenait une mine futée et son air disait clairement : « Vous allez voir comme je fais bien la bête » ; tu ne dis rien, toi, tu es, ta naïveté est admirable.