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SANS FAMILLE

rière il s’était mis à rire en poussant des petits cris moqueurs.

J’ai entendu dire que c’était une question scientifique intéressante de savoir si les singes riaient. Je pense que ceux qui se sont posé cette question sont des savants en chambre, qui n’ont jamais pris la peine d’étudier les singes. Pour moi qui pendant longtemps ai vécu dans l’intimité de Joli-Cœur, je puis affirmer qu’il riait et souvent même d’une façon qui me mortifiait. Sans doute son rire n’était pas exactement semblable à celui de l’homme. Mais enfin lorsqu’un sentiment quelconque provoquait sa gaieté, on voyait les coins de sa bouche se tirer en arrière, ses paupières se plissaient, ses mâchoires remuaient rapidement, et ses yeux noirs semblaient lancer des flammes comme des petits charbons sur lesquels on aurait soufflé.

Au reste, je fus bientôt à même d’observer en lui ces signes caractéristiques du rire dans des conditions assez pénibles pour mon amour-propre.

— Maintenant que voilà ta toilette terminée, me dit Vitalis quand je me fus coiffé de mon chapeau, nous allons nous mettre au travail, afin de donner demain, jour de marché, une grande représentation dans laquelle tu débuteras.

Je demandai ce que c’était que débuter, et Vitalis m’expliqua que c’était paraître pour la première fois devant le public en jouant la comédie.

— Nous donnerons demain notre première représentation, dit-il, et tu y figureras. Il faut donc que je te fasse répéter le rôle que je te destine.