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SANS FAMILLE

séché autour des branches des bourrées avec lesquelles nous avions fait du feu pendant tout l’hiver : il me sembla que j’étais encore au coin du foyer, sur mon petit banc, les pieds dans les cendres quand le vent s’engouffrant dans la cheminée nous rabattait la fumée au visage.

Malgré la distance et la hauteur à laquelle nous nous trouvions, les choses avaient conservé leurs formes nettes et distinctes, diminuées, rapetissées seulement.

Sur le fumier, notre poule, la dernière qui restât, allait de çà de là, mais elle n’avait plus sa grosseur ordinaire, et si je ne l’avais pas bien connue je l’aurais prise pour un petit pigeon. Au bout de la maison je voyais le poirier au tronc crochu que pendant si longtemps j’avais transformé en cheval. Puis à côté du ruisseau qui traçait une ligne blanche dans l’herbe verte, je devinais le canal de dérivation que j’avais eu tant de peine à creuser pour qu’il allât mettre en mouvement une roue de moulin, fabriquée de mes mains ; laquelle roue, hélas ! n’avait jamais pu tourner malgré tout le travail qu’elle m’avait coûté.

Tout était là à sa place ordinaire, et ma brouette, et ma charrue faite d’une branche torse, et la niche dans laquelle j’élevais des lapins quand nous avions des lapins, et mon jardin, mon cher jardin.

Qui les verrait fleurir, mes pauvres fleurs ? Qui les arrangerait, mes topinambours ? Barberin sans doute, le méchant Barberin.

Encore un pas sur la route et à jamais tout cela disparaissait.

Tout à coup dans le chemin qui du village monte à