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SANS FAMILLE

il y en a bien pour une heure de marche. Cette heure s’écoula sans qu’il m’adressât une seule fois la parole. Il marchait devant, doucement, en clopinant, sans que sa tête fît un seul mouvement, et de temps en temps il se retournait tout d’une pièce pour voir si je le suivais.

Où me conduisait-il ?

Cette question m’inquiétait, malgré le signe rassurant que m’avait fait mère Barberin, et pour me soustraire à un danger que je pressentais sans le connaître, je pensais à me sauver.

Dans ce but, je tâchais de rester en arrière ; quand je serais assez loin, je me jetterais dans le fossé, et il ne pourrait pas me rejoindre.

Tout d’abord, il se contenta de me dire de marcher sur ses talons ; mais bientôt, il devina sans doute mon intention et me prit par le poignet.

Je n’avais plus qu’à le suivre, ce que je fis.

Ce fut ainsi que nous entrâmes dans le village, et tout le monde sur notre passage se retourna pour nous voir passer, car j’avais l’air d’un chien hargneux qu’on mène en laisse.

Comme nous passions devant le café, un homme qui se trouvait sur le seuil appela Barberin et l’engagea à entrer.

Celui-ci me prenant par l’oreille me fit passer devant lui, et quand nous fûmes entrés il referma la porte.

Je me sentis soulagé ; le café ne me paraissait pas un endroit dangereux ; et puis d’un autre côté c’était le café, et il y avait longtemps que j’avais envie de franchir sa porte.