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SANS FAMILLE

j’aille la demander demain matin pour toi ? dit Étiennette.

— Je ne veux pas me placer ; en me plaçant, je resterais à Paris ; je ne vous verrais plus. Je vais reprendre ma peau de mouton, je vais décrocher ma harpe du clou où le père l’avait mise, et j’irai de Saint-Quentin à Varses, de Varses à Esnandes, d’Esnandes à Dreuzy ; je vous verrai tous, les uns après les autres, et ainsi, par moi, vous serez toujours ensemble. Je n’ai pas oublié mes chansons et mes airs de danse ; je gagnerai ma vie.

À la satisfaction qui parut sur toutes les figures, je vis que mon idée réalisait leurs propres inspirations, et, dans mon chagrin, je me sentis tout heureux. Longtemps on parla de notre projet, de notre séparation, de notre réunion, du passé, de l’avenir. Puis Étiennette voulut que chacun s’allât mettre au lit ; mais personne ne dormit bien cette nuit-là et moi moins bien encore que les autres peut-être.

Le lendemain, dès le petit matin, Lise m’emmena dans le jardin, et je compris qu’elle avait quelque chose à me dire.

— Tu veux me parler ?

Elle fit un signe affirmatif.

— Tu as du chagrin de nous séparer ; tu n’as pas besoin de me le dire, je le vois dans tes yeux et le sens dans mon cœur.

Elle fit signe que ce n’était pas de cela qu’il était question.

— Dans quinze jours, je serai à Dreuzy.

Elle secoua la tête.