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SANS FAMILLE

pas de la famille. » Je n’avais rien à réclamer ; demander, c’était mendier. Et cependant, est-ce que je les aurais mieux aimés si j’avais été de leur famille ? Alexis, Benjamin n’étaient-ils pas mes frères, Étiennette, Lise n’étaient-elles pas mes sœurs ? Je ne les aimais donc pas assez ? Et Lise ne m’aimait donc pas autant qu’elle aimait Benjamin ou Alexis ?

La tante Catherine ne différait jamais l’exécution de ses résolutions : elle nous prévint que notre séparation aurait lieu le lendemain, et là-dessus elle nous envoya coucher.

À peine étions-nous dans notre chambre que tout le monde m’entoura, et que Lise se jeta sur moi en pleurant. Alors je compris que malgré le chagrin de se séparer c’était à moi qu’ils pensaient, c’était moi qu’ils plaignaient, et je sentis que j’étais bien leur frère. Alors une idée se fit jour dans mon esprit troublé, ou plus justement, car il faut dire le bien comme le mal, une inspiration du cœur me monta du cœur dans l’esprit.

— Écoutez, leur dis-je, je vois bien que si vos parents ne veulent pas de moi, vous me faites de votre famille, vous.

— Oui, dirent-ils tous les trois, tu seras toujours notre frère.

Lise, qui ne pouvait pas parler, ratifia ces mots en me serrant la main et en me regardant si profondément que les larmes me montèrent aux yeux.

— Eh bien ! oui, je le serai, et je vous le prouverai.

— Où veux-tu te placer ? dit Benjamin.

— Il y a une place chez Pernuit : veux-tu que