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SANS FAMILLE

Et vivement il sortit après avoir mis la main de Lise dans celle d’Étiennette.

J’aurais voulu le suivre, et je me dirigeai vers la porte, mais Étiennette me fit signe de m’arrêter.

Où aurais-je été ? Qu’aurais-je fait ?

Nous restâmes anéantis au milieu de notre cuisine ; nous pleurions tous et personne d’entre nous ne trouvait un mot à dire.

Quel mot ?

Nous savions bien que cette arrestation devait se faire un jour ou l’autre, mais nous avions cru qu’alors Catherine serait là, et Catherine c’était la défense.

Mais Catherine n’était pas là.

Elle arriva cependant une heure environ après le départ du père, et elle nous trouva tous dans la cuisine sans que nous eussions échangé une parole. Celle qui jusqu’à ce moment nous avait soutenus était à son tour écrasée ; Étiennette si forte, si vaillante pour lutter, était maintenant aussi faible que nous ; elle ne nous encourageait plus, sans volonté, sans direction, toute à sa douleur qu’elle ne refoulait que pour tâcher de consoler celle de Lise. Le pilote était tombé à la mer, et nous enfants, désormais sans personne au gouvernail, sans phare pour nous guider, sans rien pour nous conduire au port, sans même savoir s’il y avait un port pour nous, nous restions perdus au milieu de l’océan de la vie, ballottés au caprice du vent, incapables d’un mouvement ou d’une idée, l’effroi dans l’esprit, la désespérance dans le cœur.

C’était une maîtresse femme que la tante Catherine, femme d’initiative et de volonté ; elle avait été nour-