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SANS FAMILLE

— Oh ! pas à l’hospice, m’écriai-je en me cramponnant à elle ; mère Barberin, pas à l’hospice, je t’en prie !

— Non, mon enfant, tu n’iras pas. J’arrangerai cela. Jérôme n’est pas un méchant homme, tu verras ; c’est le chagrin, c’est la peur du besoin qui l’ont monté. Nous travaillerons, tu travailleras aussi.

— Oui, tout ce que tu voudras. Mais pas l’hospice.

— Tu n’iras pas ; mais à une condition, c’est que tu vas tout de suite dormir. Il ne faut pas, quand il rentrera, qu’il te trouve éveillé.

Et, après m’avoir embrassé, elle me tourna le nez contre la muraille.

J’aurais voulu m’endormir ; mais j’avais été trop rudement ébranlé, trop profondément ému pour trouver à volonté le calme et le sommeil.

Ainsi, mère Barberin, si bonne, si douce pour moi n’était pas ma vraie mère ! mais alors qu’était donc une vraie mère ? Meilleure, plus douce encore ? Oh ! non, ce n’était pas possible.

Mais ce que je comprenais, ce que je sentais parfaitement, c’est qu’un père eût été moins dur que Barberin, et ne m’eût pas regardé avec ces yeux froids, le bâton levé.

Il voulait m’envoyer à l’hospice ; mère Barberin pourrait-elle l’en empêcher ?

Qu’était-ce que l’hospice ?

Il y avait au village deux enfants qu’on appelait « les enfants de l’hospice » ; ils avaient une plaque de plomb au cou avec un numéro ; ils étaient mal habillés et sales ; on se moquait d’eux ; on les battait ;