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SANS FAMILLE

la troisième ou la quatrième page. Pour moi, moins disposé au sommeil ou plus curieux, je lisais jusqu’au moment où nous devions nous coucher : les premières leçons de Vitalis n’avaient point été perdues ; et en me disant cela, en me couchant je pensais à lui avec attendrissement.

Mon désir d’apprendre rappela au père le temps où il prenait deux sous sur son déjeuner pour acheter des livres, et à ceux qui étaient dans l’armoire il en ajouta quelques autres qu’il me rapporta de Paris. Les choix étaient faits par le hasard ou les promesses du titre, mais enfin c’étaient toujours des livres, et, s’ils mirent alors un peu de désordre dans mon esprit sans direction, ce désordre s’effaça plus tard et ce qu’il y avait de bon en eux me resta et m’est resté ; tant il est vrai que toute lecture profite.

Lise ne savait pas lire, mais en me voyant plongé dans les livres aussitôt que j’avais une heure de liberté, elle eut la curiosité de savoir ce qui m’intéressait si vivement. Tout d’abord elle voulut me prendre ces livres qui m’empêchaient de jouer avec elle ; puis, voyant que malgré tout je revenais à eux, elle me demanda de les lui lire. Ce fut un nouveau lien entre nous. Repliée sur elle-même, l’intelligence toujours aux aguets, n’étant point occupée par les frivolités ou les niaiseries de la conversation, elle devait trouver dans la lecture ce qu’elle trouva en effet : une distraction et une nourriture.

Combien d’heures nous avons passées ainsi : elle assise devant moi, ne me quittant pas des yeux, moi lisant. Souvent je m’arrêtais en rencontrant des mots