Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/324

Cette page a été validée par deux contributeurs.
316
SANS FAMILLE

le jardin du Luxembourg, dans celui des Tuileries, aux Champs-Élysées. Je vis des statues. Je restai en admiration devant le mouvement des foules. Je me fis une sorte d’idée de ce qu’était l’existence d’une grande capitale.

Heureusement mon éducation ne se fit point seulement par les yeux et selon les hasards de mes promenades ou de mes courses à travers Paris. Avant de s’établir jardinier à son compte « le père » avait travaillé aux pépinières du Jardin des Plantes, et là il s’était trouvé en contact avec des gens de science et d’étude dont le frottement lui avait donné la curiosité de lire et d’apprendre. Pendant plusieurs années il avait employé ses économies à acheter des livres et ses quelques heures de loisir à lire ces livres. Mais lorsqu’il s’était marié et que les enfants étaient arrivés, les heures de loisir avaient été rares ; il avait fallu avant tout gagner le pain de chaque jour ; les livres avaient été abandonnés, mais ils n’avaient été ni perdus, ni vendus ; et on les avait gardés dans une armoire. Le premier hiver que je passai dans la famille Acquin fut très-long, et les travaux de jardinage se trouvèrent sinon suspendus, au moins ralentis pendant plusieurs mois. Alors pour occuper les soirées que nous passions au coin du feu, les vieux livres furent tirés de l’armoire et distribués entre nous. C’étaient pour la plupart des ouvrages sur la botanique et l’histoire des plantes avec quelques récits de voyages. Alexis et Benjamin n’avaient point hérité des goûts de leur père pour l’étude, et régulièrement tous les soirs, après avoir ouvert leur volume, ils s’endormaient sur