Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.
299
SANS FAMILLE

Pendant que Lise se jetait sur les genoux de son père, j’avais mis ma harpe sur mon épaule et je m’étais dirigé du côté de la porte.

— Où vas-tu ? me dit-il.

— Je pars.

— Tu tiens donc bien à ton métier de musicien ?

— Je n’en ai pas d’autre.

— Les grands chemins ne te font pas peur ?

— Je n’ai pas de maison.

— Cependant la nuit que tu viens de passer a dû te donner à réfléchir ?

— Bien certainement, j’aimerais mieux un bon lit et le coin du feu.

— Le veux-tu, le coin du feu et le bon lit, avec le travail bien entendu ? Si tu veux rester, tu travailleras, tu vivras avec nous. Tu comprends, n’est-ce pas, que ce n’est pas la fortune que je te propose, ni la fainéantise. Si tu acceptes, il y aura pour toi de la peine à prendre, du mal à te donner, il faudra se lever matin, piocher dur dans la journée, mouiller de sueur le pain que tu gagneras. Mais le pain sera assuré, tu ne seras plus exposé à coucher à la belle étoile comme la nuit dernière, et peut-être à mourir abandonné au coin d’une borne ou au fond d’un fossé ; le soir tu trouveras ton lit prêt et en mangeant ta soupe tu auras la satisfaction de l’avoir gagnée, ce qui la rend bonne, je t’assure. Et puis enfin si tu es un bon garçon, et j’ai dans l’idée quelque chose qui me dit que tu en es un, tu auras en nous une famille.

Lise s’était retournée, et à travers ses larmes elle me regardait en souriant.