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SANS FAMILLE

j’étais tiré d’affaire pour le moment. Mais en voyant comment il traite les enfants, je n’ai pas été maître de moi. Tu n’avais pas envie de rester avec lui, n’est-ce pas ?

— Oh ! vous êtes bon.

— Peut-être le cœur du jeune homme n’est-il pas tout à fait mort dans le vieux vagabond. Par malheur, le vagabond avait bien calculé, et le jeune homme a tout dérangé. Maintenant où aller ?

Il était tard déjà, et le froid, qui s’était amolli durant la journée, était redevenu âpre et glacial ; le vent soufflait du nord, la nuit serait dure.

Vitalis resta longtemps assis sur la borne, tandis que nous nous tenions immobiles devant lui, Capi et moi, attendant qu’il eût pris une décision. Enfin, il se leva.

— Où allons-nous ?

— À Gentilly, tâcher de trouver une carrière où j’ai couché autrefois. Es-tu fatigué ?

— Je me suis reposé chez Garofoli.

— Le malheur est que je ne me suis pas reposé, moi, et que je n’en peux plus. Enfin, il faut aller. En avant, mes enfants !

C’était son mot de bonne humeur pour les chiens et pour moi ; mais ce soir-là il le dit tristement.

Nous voilà donc en route dans les rues de Paris ; la nuit est noire et le gaz, dont le vent fait vaciller la flamme dans les lanternes, éclaire mal la chaussée ; nous glissons à chaque pas sur un ruisseau gelé ou sur une nappe de glace qui a envahi les trottoirs ; Vitalis me tient par la main et Capi est sur nos talons.