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SANS FAMILLE

perdus ; et maintenant ceux que je reçois me paraissent plus durs que ceux que je recevais il y a quelques mois. Ils sont bons, n’est-ce pas, ceux qui disent qu’on s’habitue à tout.

Tout en parlant il allait clopin-clopant, autour de la table, mettant les assiettes et les couverts en place. Je comptai vingt assiettes, c’était donc vingt enfants que Garofoli avait sous sa direction ; comme je ne voyais que douze lits on devait coucher deux ensemble. Quels lits ! pas de draps, mais des couvertures rousses qui devaient avoir été achetées dans une écurie, alors qu’elles n’étaient plus assez chaudes pour les chevaux.

— Est-ce que c’est partout comme ici ? dis-je épouvanté.

— Où, partout ?

— Partout chez ceux qui ont des enfants.

— Je ne sais pas, je ne suis jamais allé ailleurs ; seulement, vous, tâchez d’aller ailleurs.

— Où cela ?

— Je ne sais pas ; n’importe où, vous serez mieux qu’ici.

N’importe où ; c’était vague ; et dans tous les cas comment m’y prendre pour changer la décision de Vitalis ?

Comme je réfléchissais sans rien trouver bien entendu, la porte s’ouvrit et un enfant entra ; il tenait un violon sous son bras, et dans sa main libre, il portait un gros morceau de bois de démolition. Ce morceau, pareil à ceux que j’avais vu mettre dans la cheminée, me fit comprendre où Garofoli prenait sa provision, et le prix qu’elle lui coûtait.