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SANS FAMILLE

lui donne parce qu’on a bien chaud, tandis que lui tremble de froid sous une porte cochère. Oh ! je connais toutes ces manières-là ; j’ai eu le temps de les étudier ; tenez, il fait froid aujourd’hui, n’est-ce pas ?

— Très-froid.

— Eh bien ! allez vous mettre sous une porte et tendez la main à un monsieur que vous verrez venir rapidement tassé dans un petit paletot, vous me direz ce qu’il vous donnera ; tendez-la, au contraire, à un monsieur qui marchera doucement, enveloppé dans un gros pardessus ou dans des fourrures, et vous aurez peut-être une pièce blanche. Après un mois ou six semaines de ce régime-là, je n’avais pas engraissé ; j’étais devenu pâle, si pâle, que souvent j’entendais dire autour de moi : « Voilà un enfant qui va mourir de faim. » Alors la souffrance fit ce que la beauté n’avait pas voulu faire : elle me rendit intéressant et me donna des yeux ; les gens du quartier me prirent en pitié, et si je ne ramassais pas beaucoup plus de sous, je ramassai tantôt un morceau de pain, tantôt une soupe. Ce fut mon bon temps ; je n’avais plus de coups de bâton, et si j’étais privé de pommes de terre au souper, cela m’importait peu quand j’avais eu quelque chose pour mon dîner. Mais un jour Garofoli me vit chez une fruitière mangeant une assiettée de soupe, et il comprit pourquoi je supportais sans me plaindre la privation des pommes de terre. Alors il décida que je ne sortirais plus et que je resterais à la chambrée pour préparer la soupe et faire le ménage. Mais comme en préparant la soupe je pouvais en manger, il inventa cette marmite : tous les matins