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SANS FAMILLE

étions une douzaine, et l’on se mit en route pour la France. Ah ! elle a été bien longue la route pour moi et pour les camarades, qui eux aussi étaient tristes. Enfin, on arriva à Paris ; nous n’étions plus que onze parce qu’il y en avait un qui était resté à l’hôpital de Dijon. À Paris on fit un choix parmi nous ; ceux qui étaient forts furent placés chez des fumistes ou des maîtres ramoneurs ; ceux qui n’étaient pas assez solides pour un métier allèrent chanter ou jouer de la vielle dans les rues. Bien entendu, je n’étais pas assez fort pour travailler, et il paraît que j’étais trop laid pour faire de bonnes journées en jouant de la vielle. Alors Garofoli me donna deux petites souris blanches que je devais montrer sous les portes, dans les passages, et il taxa ma journée à trente sous. « Autant de sous qui te manqueront le soir, me dit-il, autant de coups de bâton pour toi. » Trente sous, c’est dur à ramasser ; mais les coups de bâton, c’est dur aussi à recevoir, surtout quand c’est Garofoli qui les administre. Je faisais donc tout ce que je pouvais pour ramasser ma somme ; mais, malgré ma peine, je n’y parvenais pas souvent. Presque toujours mes camarades avaient leurs sous en rentrant ; moi, je ne les avais presque jamais. Cela redoublait la colère de Garofoli. « Comment donc s’y prend cet imbécile de Mattia ? » disait-il. Il y avait un autre enfant qui, comme moi, montrait des souris blanches et qui avait été taxé à quarante sous, que tous les soirs il rapportait. Plusieurs fois, je sortis avec lui pour voir comment il s’y prenait et par où il était plus adroit que moi. Alors je compris pourquoi il obtenait si fa-