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SANS FAMILLE

tête grosse et disproportionnée semblait immédiatement posée sur ses jambes, comme dans ces dessins comiques qui ont été à la mode il y a quelques années ; cette tête avait une expression profonde de douleur et de douceur, avec la résignation dans les yeux et la désespérance dans sa physionomie générale. Ainsi bâti, il ne pouvait pas être beau, cependant il attirait le regard et le retenait par la sympathie et un certain charme qui se dégageait de ses grands yeux mouillés et tendres comme ceux d’un chien, et de ses lèvres parlantes.

— Es-tu bien certain qu’il reviendra dans deux heures ? demanda Vitalis.

— Bien certain, signor ; c’est le moment du dîner et jamais personne autre que lui ne sert le dîner.

— Eh bien, s’il rentre avant, tu lui diras que Vitalis reviendra dans deux heures.

— Dans deux heures, oui, signor.

Je me disposais à suivre mon maître lorsque celui-ci m’arrêta.

— Reste ici, dit-il, tu te reposeras ; je reviendrai.

Et comme j’avais fait un mouvement d’effroi.

— Je t’assure que je reviendrai.

J’aurais mieux aimé, malgré ma fatigue, suivre Vitalis, mais quand il avait commandé j’avais l’habitude d’obéir ; je restai donc.

Lorsqu’on n’entendit plus le bruit des pas lourds de mon maître dans l’escalier, l’enfant qui avait écouté, l’oreille penchée vers la porte, se retourna vers moi.