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SANS FAMILLE

J’aurais eu bien des choses à répondre, et les paroles me montaient du cœur aux lèvres, mais je les refoulai.

Mon maître m’avait demandé du courage et de la résignation, je voulais lui obéir et ne pas augmenter son chagrin.

Déjà, d’ailleurs, il n’était plus à mes côtés, et comme s’il avait peur d’entendre ce qu’il prévoyait que j’allais répondre, il avait repris sa marche à quelques pas en avant.

Je le suivis, et nous ne tardâmes pas à arriver à une rivière que nous traversâmes sur un pont boueux, comme je n’en avais jamais vu ; la neige, noire comme du charbon pilé, recouvrait la chaussée d’une couche mouvante dans laquelle on enfonçait jusqu’à la cheville.

Au bout de ce pont se trouvait un village aux rues étroites, puis, après ce village, la campagne recommençait, mais non la campagne encombrée de maisons à l’aspect misérable.

Sur la route les voitures se suivaient et se croisaient maintenant sans interruption. Je me rapprochai de Vitalis et marchai à sa droite, tandis que Capi se tenait le nez sur nos talons.

Bientôt la campagne cessa et nous nous trouvâmes dans une rue dont on ne voyait pas le bout ; de chaque côté, au loin, des maisons, mais pauvres, sales, et bien moins belles que celles de Bordeaux, de Toulouse et de Lyon.

La neige avait été mise en tas de place en place, et sur ces tas noirs et durs on avait jeté des cendres, des