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SANS FAMILLE

Cette combinaison était peut-être ce qui convenait le mieux à notre condition présente. Et quand maintenant j’y songe, je reconnais que mon maître avait fait le possible pour sortir de notre fâcheuse situation. Mais les pensées de la réflexion ne sont pas les mêmes que celles du premier mouvement.

Dans ce qu’il me disait je ne voyais que deux choses :

Notre séparation.

Et le padrone.

Dans nos courses à travers les villages et les villes j’en avais rencontré plusieurs, de ces padrones qui mènent les enfants qu’ils ont engagés deci delà, à coups de bâton.

Ils ne ressemblaient en rien à Vitalis, durs, injustes, exigeants, ivrognes, l’injure et la grossièreté à la bouche, la main toujours levée.

Je pouvais tomber sur un de ces terribles patrons.

Et puis, quand même le hasard m’en donnerait un bon, c’était encore un changement.

Après ma nourrice, Vitalis.

Après Vitalis, un autre.

Est-ce que ce serait toujours ainsi ?

Est-ce que je ne trouverais jamais personne à aimer pour toujours ?

Peu à peu j’en étais venu à m’attacher à Vitalis comme à un père.

Je n’aurai donc jamais de père.

Jamais de famille.

Toujours seul au monde.

Toujours perdu sur cette vaste terre, où je ne pouvais me fixer nulle part.