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SANS FAMILLE

Car moi aussi, mon petit Rémi, j’ai de la peine.

C’est seulement plus tard, quand j’ai eu quelqu’un à aimer, que j’ai senti et éprouvé la justesse de ces paroles.

— Le malheur est, continua Vitalis, qu’il faille toujours se séparer précisément à l’heure où l’on voudrait au contraire se rapprocher.

— Mais, dis-je timidement, vous ne voulez pas m’abandonner dans Paris ?

— Non, certes ; je ne veux pas t’abandonner, crois-le bien. Que ferais-tu à Paris, tout seul, pauvre garçon ? Et puis, je n’ai pas le droit de t’abandonner, dis-toi bien cela. Le jour où je n’ai pas voulu te remettre aux soins de cette brave dame qui voulait se charger de toi et t’élever comme son fils, j’ai contracté l’obligation de t’élever moi-même de mon mieux. Par malheur, les circonstances me sont contraires. Je ne puis rien pour toi en ce moment, et voilà pourquoi je pense à nous séparer, non pour toujours, mais pour quelques mois, afin que nous puissions vivre chacun de notre côté pendant les derniers mois de la mauvaise saison. Nous allons arriver à Paris dans quelques heures. Que veux-tu que nous y fassions avec une troupe réduite au seul Capi ?

En entendant prononcer son nom, le chien vint se camper devant nous, et, ayant porté la main à son oreille pour faire le salut militaire, il la posa sur son cœur comme s’il voulait nous dire que nous pouvions compter sur son dévouement.

Dans la situation où nous nous trouvions, cela ne calma pas notre émotion.