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SANS FAMILLE

Heureusement Capi était plus expansif, et souvent en marchant je sentais une langue humide et chaude se poser sur ma main ; c’était Capi qui me léchait pour me dire :

— Tu sais, je suis là, moi Capi, moi ton ami.

Et alors, je le caressais doucement sans m’arrêter.

Il paraissait aussi heureux de mon témoignage d’affection que je l’étais moi-même du sien ; nous nous comprenions, nous nous aimions.

Pour moi, c’était un soutien, et pour lui, j’en suis sûr, c’en était un aussi : le cœur d’un chien n’est pas moins sensible que celui d’un enfant.

Ces caresses consolaient si bien Capi, qu’elles lui faisaient, je crois, oublier quelquefois la mort de ses camarades ; la force de l’habitude reprenait le dessus, et tout à coup il s’arrêtait sur la route pour voir venir sa troupe, comme au temps où il en était le caporal, et où il devait fréquemment la passer en revue. Mais cela ne durait que quelques secondes ; la mémoire se réveillait en lui, et se rappelant brusquement pourquoi cette troupe ne venait pas, il nous dépassait rapidement, et regardait Vitalis en le prenant à témoin qu’il n’était pas en faute ; si Dolce, si Zerbino ne venaient pas, c’était qu’ils ne devaient plus venir. Il faisait cela avec des yeux si expressifs, si parlants, si pleins d’intelligence, que nous en avions le cœur serré.

Cela n’était pas de nature à égayer notre route, et cependant nous aurions eu bien besoin de distraction, moi au moins.

Partout sur la campagne s’étalait le blanc linceul de la neige ; point de soleil au ciel, mais un jour fauve