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SANS FAMILLE

sébile n’était pas pleine, il s’en fallait de beaucoup.

À ce moment Vitalis qui, lui aussi, avait jugé la recette, se leva :

— Je crois pouvoir dire, sans nous flatter, que nous avons exécuté notre programme ; cependant, comme nos chandelles vivent encore, je vais, si la société le désire, lui chanter quelques airs ; Capi fera une nouvelle tournée, et les personnes qui n’avaient pas pu trouver l’ouverture de leur poche, à son premier passage, seront peut-être plus souples et plus adroites cette fois ; je les avertis de se préparer à l’avance.

Bien que Vitalis eût été mon professeur je ne l’avais jamais entendu vraiment chanter, ou tout au moins comme il chanta ce soir-là.

Il choisit deux airs que tout le monde connaît, mais que moi je ne connaissais pas alors, la romance de Joseph : « À peine au sortir de l’enfance, » et celle de Richard Cœur-de-Lion : « Ô Richard, ô mon roi ! »

Je n’étais pas à cette époque en état de juger si l’on chantait bien ou mal, avec art ou sans art, mais ce que je puis dire c’est le sentiment que sa façon de chanter provoqua en moi ; dans le coin de la scène où je m’étais retiré, je fondis en larmes.

À travers le brouillard qui obscurcissait mes yeux, je vis une jeune dame qui occupait le premier banc, applaudir de toutes ses forces. Je l’avais déjà remarquée, car ce n’était point une paysanne, comme celles qui composaient le public : c’était une vraie dame, jeune, belle et que, à son manteau de fourrure, j’avais jugée être la plus riche du village ; elle avait près d’elle un enfant qui, lui aussi, avait beaucoup