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SANS FAMILLE

sement, et Joli-Cœur s’était à demi soulevé, quoiqu’il fût très-mal en ce moment : tous deux, je le crois bien, avaient deviné qu’il s’agissait de notre représentation.

Cette idée, qui s’était présentée à mon esprit, me fut bientôt confirmée par la pantomime de Joli-Cœur : il voulut se lever et je dus le retenir de force ; alors il me demanda son costume de général anglais, l’habit et le pantalon rouge galonnés d’or, le chapeau à claque avec son plumet.

Il joignait les mains, il se mettait à genoux pour mieux me supplier.

Quand il vit qu’il n’obtenait rien de moi par la prière, il essaya de la colère, puis enfin des larmes.

Il était certain que nous aurions bien de la peine à le décider à renoncer à son idée de reprendre son rôle le soir, et je pensai que dans ces conditions le mieux était de lui cacher notre départ.

Malheureusement quand Vitalis, qui ignorait ce qui s’était passé en son absence, rentra, sa première parole fut pour me dire de préparer ma harpe et tous les accessoires nécessaires à notre représentation.

À ces mots bien connus de lui, Joli-Cœur recommença ses supplications, les adressant cette fois à son maître ; il eût pu parler qu’il n’eût assurément pas mieux exprimé par le langage articulé ses désirs qu’il ne le faisait par les sons différents qu’il poussait, par les contractions de sa figure et par la mimique de tout son corps ; c’étaient de vraies larmes qui mouillaient ses joues, et c’étaient de vrais baisers ceux qu’il appliquait sur les mains de Vitalis.