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SANS FAMILLE

Tandis que je gardais notre malade, il trouva une salle de spectacle dans les halles, car une représentation en plein air était impossible par le froid qu’il faisait ; il composa et colla des affiches ; il arrangea un théâtre avec quelques planches, et bravement il dépensa ses cinquante sous à acheter des chandelles qu’il coupa par le milieu, afin de doubler son éclairage.

Par la fenêtre de la chambre, je le voyais aller et venir dans la neige, passer et repasser devant notre auberge, et ce n’était pas sans angoisse que je me demandais quel serait le programme de cette représentation.

Je fus bientôt fixé à ce sujet, car le tambour du village, coiffé d’un képi rouge, s’arrêta devant l’auberge, et après un magnifique roulement, donna lecture de ce programme.

Ce qu’il était, on l’imaginera facilement lorsqu’on saura que Vitalis avait prodigué les promesses les plus extravagantes : il était question « d’un artiste célèbre dans l’univers entier, » — c’était Capi, — et « d’un jeune chanteur qui était un prodige, » — le prodige, c’était moi.

Mais la partie la plus intéressante de ce boniment était celle qui disait qu’on ne fixait pas le prix des places et qu’on s’en rapportait à la générosité des spectateurs, qui ne payeraient qu’après avoir vu, entendu et applaudi.

Cela me parut bien hardi, car nous applaudirait-on ? Capi méritait vraiment d’être célèbre. Mais moi je n’avais nullement la conviction d’être un prodige.

En entendant le tambour, Capi avait aboyé joyeu-