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SANS FAMILLE

enseigne dorée ; par la porte de la cuisine, grande ouverte, on voyait une table chargée de viande, et sur un large fourneau plusieurs casseroles en cuivre rouge chantaient joyeusement, lançant au plafond des petits nuages de vapeur ; de la rue, on respirait une bonne odeur de soupe grasse qui chatouillait agréablement nos estomacs affamés.

Mon maître ayant pris ses airs « de monsieur » entra dans la cuisine, et le chapeau sur la tête, le cou tendu en arrière, il demanda à l’aubergiste une bonne chambre avec du feu.

Tout d’abord l’aubergiste, qui était un personnage de belle prestance, avait dédaigné de nous regarder, mais les grands airs de mon maître lui en imposèrent, et une fille de service reçut l’ordre de nous conduire.

— Vite, couche-toi, me dit Vitalis pendant que la servante allumait le feu.

Je restai un moment étonné : pourquoi me coucher ? j’aimais bien mieux me mettre à table qu’au lit.

— Allons vite, répéta Vitalis.

Et je n’eus qu’à obéir.

Il y avait un édredon sur le lit, Vitalis me l’appliqua jusqu’au menton.

— Tâche d’avoir chaud, me dit-il, plus tu auras chaud mieux cela vaudra.

Il me semblait que Joli-Cœur avait beaucoup plus que moi besoin de chaleur, car je n’avais nullement froid.

Pendant que je restais immobile sous l’édredon, pour tâcher d’avoir chaud, Vitalis au grand étonne-