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SANS FAMILLE

Nous arrivâmes à Chalon et nous en repartîmes sans avoir vu le Cygne : c’en était donc fait, il fallait renoncer à mon rêve.

Ce ne fut pas sans un très-vif chagrin.

Justement pour accroître mon désespoir, qui pourtant était déjà bien assez grand, le temps devint détestable ; la saison était avancée, l’hiver approchait, et les marches sous la pluie, dans la boue devenaient de plus en plus pénibles. Quand nous arrivions le soir dans une mauvaise auberge ou dans une grange, harassés par la fatigue, mouillés jusqu’à la chemise, crottés jusqu’aux cheveux, je ne me couchais point avec des idées riantes.

Lorsque, après avoir quitté Dijon, nous traversâmes les collines de la Côte-d’Or, nous fûmes pris par un froid humide qui nous glaçait jusqu’aux os, et Joli-Cœur devint plus triste et plus maussade que moi.

Le but de mon maître était de gagner Paris au plus vite, car à Paris seulement nous avions chance de pouvoir donner quelques représentations pendant l’hiver ; mais, soit que l’état de sa bourse ne lui permît pas de prendre le chemin de fer, soit toute autre raison, c’était à pied que nous devions faire la route qui sépare Dijon de Paris.

Quand le temps nous le permettait, nous donnions une courte représentation dans les villes et dans les villages que nous traversions, puis, après avoir ramassé une maigre recette, nous nous remettions en route.

Jusqu’à Châtillon, les choses allèrent à peu près, quoique nous eussions toujours à souffrir du froid et